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Ex-libris et Polaris
27 février 2009

La naine et Le Grand

La_naine_du_TsarComment étancher une insatiable soif d’épopée dans le nord de l’Europe ? Comment nourrir une ultime fois sa faim de grand froid, de neige et de voyages en traineau, avant de goûter au printemps qui pointe ses premiers rayons ? Ouvrez de ce pas le dernier roman du Danois Peter H. Fogtdal. Ce sympathique prof d’histoire qui crapahute entre son pays et les États-Unis (ici son blog) nous offre, avec « La naine du tsar », un roman épique de belle facture. 

Sur fond de Grande-guerre du Nord, entre Danois et Russes alliés contre la Suède, il est question d’hégémonie sur la mer baltique. La naissance d’un Saint-Pétersbourg sortant artificiellement des marécages est aussi fraîche que les empreintes des loups dans la neige. Mais ça sent méchamment la fin du tsar Pierre le Grand et de Frédéric IV version Danemark-Norvège, pendant que le grand livre d’histoire de Copenhague se consume dans le gigantesque incendie de l’automne 1728. C’est d’un voyage passionnant dans l’histoire du nord de l’Europe, à son tournant du XVIIIe siècle, dont il s’agit en effet. 

Nous sommes donc au Danemark, à la cour de Frédéric IV. Sa majesté est le monarque le plus riche d’Europe, « si lourdement assis sur sa cassette qu’il en a le cul aplati », de la bouche même du duc Menshikov, le numéro un du tsar de Russie. Mais tout à côté des ors du royaume, le vieux Copenhague sort à peine du moyen-âge et la peste ne pardonne rien aux gueux englués dans les entrailles de la cité.  

La saga que nous conte avec une verve délicieuse (et au prix d’un évident travail de documentation) Peter H. Fogtdal est attachée au destin de Sørine. Le parcours chaotique de cette naine vive, érudite, à rebrousse-poil et blasphématoire, va nous conduire à ses dépends de Copenhague à Saint-Pétersbourg, du Koenigsberg d’alors (actuelle enclave russe de Kaliningrad) à son nouveau destin. Peter nous trimbale ainsi dans une sorte de boucle initiatique avec comme trame une belle réflexion entre le bien et le mal, à la croisée des questionnements entre religion, croyance, sorcellerie ou autre superstition. Avec le scepticisme religieux comme fil rouge. 

La petite Sørine Bentsdatter vit avec son gueux dans les bas-fonds putrides de Copenhague et, pendant que ce dernier pourrit littéralement dans son dernier souffle, la naine se fait scandaleusement repérer à la cour de Frédéric IV, en pleine visite danoise de Pierre le Grand. Les sbires de Frédéric IV s’étaient imaginé que la naine aurait une fonction de premier choix au banquet, façon bouquet final sortant du gâteau surprise. Sørine n’était pas vraiment pourcette idée de bondir hors d’un gâteau, déguisée comme la plus petite putain du monde, afin d’éructer à la tête du tsar ces mots en russe appris par cœur. D’abord silencieuse, toisant toute la cour intriguée, elle va se mettre à danser, va subir des lancer de prunes… avant de s’immobiliser devant Piotr :  « Tu es la naine la plus hideuse que j’ai vue dans ma vie, dit-il. Je rougis, et le tsar me donne un baiser sur la bouche ».   

Pierre Le Grand nourrit depuis pas mal d’années une passion pour ces petits hommes qu’il héberge dans une maison toute à leur taille, à Saint-Pétersbourg… et que lui, ou Catherine, appellent quand ils y pensent pour les divertir. Pendant que les grands refont la carte de la Scandinavie (pour récupérer les pays de la Scanie « Danois et Moscovites sont alliés, ils préparent le débarquement des troupes en Suède pour tenir en respect le roi guerrier Charles XII »), Frédéric va offrir la naine au tsar. Ainsi, Sørine va-t-elle devenir Surinka et découvrir, dans sa nouvelle maison de Liliputy à Saint-Pétersbourg, Lucas, le nain préféré du Tsar. L’intelligente petite bonne femme ne tardra pas à l’éprouver de toute sa souffrance : « Les Russes pleurent souvent, c’est un peuple de bourreaux mélancoliques ». 

Née « pour être un caillou dans la chaussure des nobles », qu’elle se fasse exorciser dans un monastère russe ou engeôler parmi d’autres semblables difformes dans un cabinet de curiosité (ha, quel horrible « cabinet d’objets d’art » !), Sørine n’est en fin de compte pas seulement prisonnière de son corps. Elle devra se défaire de ses chaînes, s’évader, pour espérer mieux se retrouver. 

Prix littéraire des Ambassadeurs francophones du Danemark en 2005 pour « Le front Chantilly », Peter H. Fogtdal nous entraîne dans une quête des racines. Il s’aventure avec talent dans les fonds insondables de la différence, en un roman qui aurait certes mérité d’être un peu plus court et tonique. Il touche néanmoins à l’excellence.

 « La Naine du Tsar », de Peter H. Fogtdal, traduit du Danois par Anne Charlotte Struve, paru chez Gaïa le 26 juin 2008 (ISBN : 978-2-84720-120-8). 349 pages, 22 €. 

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