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Ex-libris et Polaris

14 juillet 2012

Jørn Riel, toute une vie de Racontars

Jorn Riel IILes Éditions Gaïa s’offrent une belle rentrée littéraire autour du Danois Jørn Riel. En octobre paraîtra en effet le premier volet du recueil autobiographique Une vie de racontars. La sortie de ce recueil du voyageur éternel aujourd’hui établi en Malaisie sera accompagnée d’une réédition d’Arluk.

Roman paru initialement chez Gaïa en 2000 (puis en poche, chez 10-18 en 2001) Arluk figure dans une trilogie, le cycle Le Chant pour celui qui désire vivre, en forme de fresque sur le peuple Inuit, avec les deux autres volumes, Heq et Soré dont on attend donc désormais la réédition. Ce sens inné de la narration, ses récits truffés de petites histoires dans la grande, ses tranches de vies pleines d’humour, d’anecdotes et d’humanité, font incontestablement de Jørn Riel l’un des plus grands conteurs du XXe siècle, avec un intérêt ethnologique évident.

Jorn Riel III

L’auteur fétiche de la maison landaise créée en 1991 fut publié dès l’origine de l’éditeur. Les vingt ans d’histoire de Gaïa (et feues ses pages roses) retiennent que le premier ouvrage paru en septembre 1993 chez cet éditeur fut La vierge froide et autres racontars (roman réédité au printemps 2011). C’est ainsi que s’ouvrit la longue série des Racontars et de sa suite : du Roi Oscar au si joli roman Le garçon qui voulait devenir un être humain, est-il encore utile de présenter ici l’auteur danois que l’on a pu croiser, l’an passé, année de ses 80 ans, au Salon du livre de Paris consacré aux lettres nordiques ?

Né le 23 juillet 1931 à Odense (Danemark), opérateur radio et navigateur de formation, Jørn Riel a vite quitté sa Fionie natale puisqu’il s’est embarqué dès 19 ans dans la grande aventure de sa vie. Sa porte de sortie fut une nouvelle expédition de Lauge Koch, ce géologue danois qui avait tâté du Groenland dès 1920, premier explorateur, alors, à fouler le sol de ces terres les plus septentrionales.

Quand, à 22 ans, Jørn Riel s’établit sur les sols gelés du Groenland, il était loin de s’imaginer qu'il y resterait seize ans. Seize années nourricières à consigner les histoires des grands explorateurs en expéditions, comme celles de la vie quotidienne des Esquimaux. Sur la base d’études scientifiques de l’Ile d’Ella, il croisa même l’aventurier Paul-Emile Victor à qui il dédia d’ailleurs la plupart des dix volumes de ses Racontars arctiques

Alors que 10-18 vient de rééditer en poche quatre racontars réunis en un Big Book, Gaïa fera donc à nouveau honneur, à son tour, en octobre, à l’écrivain consacré Grand-prix de l’Académie danoise en 2010 pour l’ensemble de son œuvre. Une œuvre pleine de ces Racontars plus vrais que nature sur lesquels Jørn Riel aimait servir cette belle formule : « Un racontar est une histoire vraie qui pourrait passer pour un mensonge. A moins que ce ne soit l’inverse… »

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> A paraître. En octobre 2012 chez Gaïa :

Une vie de Racontars

Une vie de racontars (Livre 1), de Jørn Riel. Roman traduit du danois par Andréas Saint Bonnet. 19 €. ISBN 978-284720-268-7.

Présentation de l’éditeur. Une vie de racontars est une plongée au cœur de l’univers de Riel, inventeur des célèbres racontars, retraçant quelques moments clefs de sa vie, son amour du voyage, ses nombreux périples, ses premières grandes expériences…
On y délaisse pour un temps la joyeuse bande de chasseurs groenlandais pour découvrir les pépites d’une existence incroyablement remplie, celle de l’auteur lui-même, aux quatre coins du monde : de Fionie (son île natale) à Paris, en passant par la Nouvelle-Guinée et le Groenland. Parsemé d’anecdotes autobiographiques, ce recueil, à la fois drôle et touchant, forme un récit universel, aventure délicieusement passionnante et humainement forte, qui nous transporte aux côtés de Riel, fabuleux conteur.

arluk

Arluk (Le chant pour celui qui désire vivre), de Jørn Riel (nouvelle édition). Roman traduit du danois par Inès Jorgensen. 22 €. ISBN 978-2-84720-269-4.

Présentation de l’éditeur. Par ces ancêtres, Arluk est investi d’une mission : traverser tous les pays merveilleux de la terre. C’est avec tout son clan qu’Arluk entreprend le périple autour du Groenland, voyage qui prendra toute une vie. Des pays chauds et fertiles du sud du Groenland, le clan d’Arluk remonte la côte Est, d’abord en y rencontrant des habitats dispersés, ensuite dans une nature totalement sauvage et hostile. Une vie riche de rencontres, non seulement avec d’autres clans inuits, mais aussi avec les dernières colonies nordiques qui, en ce XVe siècle, sont en train de s’éteindre : la faute au refroidissement du climat, et à la perte de contact avec le monde extérieur.

> Pour aller plus loin. Réécouter le grand entretien de France Culture, lors du Salon du livre à Paris, l’an passé : ici.

© Photos

Polfoto Steenwren (Portrait de Jørn Riel)

Gaïa et Ex-libris & Polaris (Romans de Jørn Riel).

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14 juillet 2012

Avignon : Lars Norén, du texte à la scène et du hasard à l’art

Lars Noren IIOuvert depuis une semaine, le 66e Festival d’Avignon fait notamment la part belle, côté off, aux textes du contemporain suédois Lars Norén. Après le focus sur Automne et Hiver, par la Compagnie Arcade (lire ici), gros plan sur cette idée originale de diptyque présenté, toujours en Avignon mais cette fois au GiraSole, par la Compagnie de Théâtre du Loup Blanc, créée en 1993 dans l’Orne par Marie Grudzinski et Jean-Claude Seguin.

En 2010-2011, cette compagnie de Basse-Normandie avait eu l’idée d’élaborer ce diptyque nocturne associant Long voyage vers la nuit, du Prix Nobel de littérature (1936) Eugène O'Neil, pièce montée sur la Scène nationale d'Alençon (Orne), et Embrasser les ombres de Lars Norén, présentée alors sur la scène conventionnée de Granville (Manche).

ONeill

« O’Neill a montré qu’au théâtre on a juste besoin d’acteurs et de mots. Il a éliminé tout le reste… Je me sers d’O’Neill pour regarder ma propre vie » : ces mots de Lars Norèn en forme d’hommage au dramaturge américain, n’ont fait qu’un tour dans la tête du metteur en scène Jean-Claude Seguin. Cela a attisé, pour le moins, chez ce dernier, maîtrise de lettres à l’Institut d’études théâtrales sous la direction de Bernard Dort, l’envie de réunir les deux auteurs. « Lars Norén a écrit la suite, en miroir, d’une pièce qu’il admire entre toutes : Long voyage vers la nuit. Avec un humour grinçant, il prête vie au couple infernal que son auteur, Eugene O’Neill, forme en 1949 avec sa dernière femme. Il les confronte aux deux fils de l’auteur qui lui rendent visite le jour de ses 60 ans… Autour de la création, du lien et de la transmission, ce texte est fort et provocant, estime Jean-Claude Seguin. Norén tente, en fait, de l’écrire à la manière du dramaturge américain - Embrasser les ombres serait l’œuvre ultime d’O’Neill -, mais peut-être crée-t-il là, de façon paradoxale, la plus personnelle de ses œuvres. Norén y fait état, en effet, avec un humour grinçant, de sa relation ambivalente avec le théâtre, ce ‘‘ marais de compromis ’’, et sonde avec force les plaies d’une famille qui ressemble comme une sœur à la sienne. »

" Ces deux pièces

m'ont donné

du fil à retordre "

Avec cette farce tragique, Lars Norén donne dans l’humour noir. «Jusqu’à pouvoir donner lieu, dans la mise en scène, à un burlesque », ajoute le metteur en scène.

Comment, d’ailleurs, passe-t-on de l’écrit de Lars Norén à la mise en scène d’un tel texte ? « Ces deux pièces m’ont donné du fil à retordre, répond sincèrement Jean-Claude Seguin. Dans l’une et l’autre, la question se posait pour moi de ne pas tricher avec le psycho naturalisme qui les sous-tend, tout en créant une transposition dans l’espace et la mise en scène. Ainsi ai-je intégré dans Long voyage vers la nuit la voix off d’O’Neill qui, trente ans plus tard, se remémore les faits. J’ai voulu, aussi, partager l’espace entre l’aire de jeu où revivent avec force, au présent, par le sortilège des mots et du théâtre, les fantômes de l’auteur et les limbes de la mémoire. Là où errent les morts, ces ombres, ces fantômes qui obsèdent les deux dramaturges. Dans Embrasser les ombres, j’ai choisi de donner corps aux hallucinations de Shane, le fils cadet d’O’Neill, et me suis appuyé sur le regard énigmatique de Saki, le serviteur japonais, quasi muet, interprété par un acteur du théâtre Nô. J’ai voulu exploiter la charge explosive de ces deux textes qui, me semble-t-il, finissent par faire éclater la forme dans laquelle on les a trop enfermés.»

Embrasser les ombres

Ce long voyage vers le théâtre est le fruit du hasard. « Ce diptyque est, pour nous, une aventure singulière », acquiesce Jean-Claude Seguin. Alors qu’ils recherchaient de puissants textes contemporains, lui et Marie Grudzinski ont respectivement découvert, au même moment et par pur hasard, le texte d’O’Neill et la pièce de Norén, avec le même enthousiasme. « La décision de monter, pour la première fois, ces deux pièces ensemble, en alternance, avec un quatuor de comédiens qui interpréteraient les deux générations, fut immédiate », se souvient Jean-Claude Seguin. Ce hasard tient une si grande place chez Lars Norén, comme celui des rencontres entre les âmes paumées de Catégorie 3.1, cette pièce du dramaturge suédois si sublimement transfigurée en Salle d’attente par le metteur en en scène polonais Krystian Lupa.

Là non plus, le décrochage de l’âme humaine n’est pas bien loin. « Dans Long voyage vers la nuit O’Neill (alias Edmund) a 25 ans, il se cherche – et ne se trouvera qu’au sanatorium où l’écriture le sauvera du suicide. On sait combien l’expérience de l’hôpital psychiatrique fut, pour Norén, tout aussi déterminante. La mère, ici, incarne un soleil noir autour duquel les trois hommes gravitent, en perdition... Dans Embrasser les ombres, O’Neill a 60 ans et il vit avec sa dernière femme, Carlotta, une relation volcanique. Le jour de son anniversaire, il reçoit ses deux fils, en quête d’amour et de reconnaissance », raconte Jean-Claude Seguin. Diptyque chargé de vies, à découvrir jusqu’au 28 juillet en off à Avignon.

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> Pratique. Le diptyque nocturne est proposé au GiraSole, à Avignon, jusqu’au samedi 28 juillet, à 22h05, en alternance entre Long voyage vers la nuit (Eugene O’Neill), les jours impairs et Embrasser les ombres de Lars Norén, les jours pairs. Durée de chaque pièce : 1h50. Tout public à partir de 12 ans. Pour chaque pièce, plein tarif : 15 €. Off : 10 €. Demandeurs d’emplois et enfants : 5 €. Pour le diptyque : 25 € (off : 15 €). GiraSole, 24 bis rue Guillaume-Puy. Pour les réservations, tél. 04.90.14.08.17. Vers le site Internet du théâtre.

> Pour aller plus loin. Embrasser les ombres, a paru en 2002 aux éditions de l’Arche. Traduit du suédois par Per Nygren et Louis-Charles Sirjacq. Paru avec deux autres textes,  Actes et Bobby Fischer vit à Pasadena. 288 pages. 22€. ISBN : 2-85181-532-6.

© Photos

Jessica Gow/ Scanpix (Portrait de Lars Norén)

Sd (Eugene O'Neill et sa femme Carlotta, Monterey 1938).

Fanny Vambacas (vue de la pièce Embrasser les ombres).

8 juillet 2012

Les lettres nordiques ont rendez-vous à Göteborg

Tomas Transtromer

Du 27 au 30 septembre, la Göteborg book fair sera consacrée à la littérature nordique. Alors que le Conseil nordique célèbre, en 2012, son soixantième anniversaire et que son prestigieux prix (le prix de littérature du conseil nordique) a, lui, 50 ans, le Salon du livre de Göteborg a décidé d’œuvrer en partenariat avec le Conseil nordique et le Conseil nordique des ministres, cette année.

Pour sa vingt-huitième édition, le plus grand salon littéraire scandinave accueillera ainsi de grands noms de la littérature nordique. Parmi ces invités, le Prix Nobel de littérature 2011, Tomas Tranströmer, fera l’objet d’une grande rétrospective photo et de lectures publiques.

Parmi les nombreux séminaires du salon de Göteborg, le 27 septembre, la discussion sera consacrée à « Tranströmer, ce mystique qui ne prêche pas ». En 2011, pas moins de 2.000 intervenants et 927 exposants avaient participé aux quelque 3.000 événements (dont 434 tables rondes) au programme. Partie de 5.000 visiteurs en 2005, la Göteborg book fair compte désormais autour de 100.000 visiteurs en quatre jours et 1.410 journalistes accrédités.

C’est à la Norvégienne Merethe Lindstrøm, lauréate du Prix du conseil nordique 2012, que reviendra l’honneur d’inaugurer le salon, le 27 septembre.

Les noms des nombreux auteurs suédois appelés à participer à cette vingt-huitième édition ne sont pas encore publiés. En revanche, la liste des écrivains des autres pays nordiques vient d’être officialisée :

> Danemark. Anastassia Arnold; Fupz Aakeson; Suzanne Brøgger; Ole Dalgaard; Julie Edel Hardenberg (Groënland); Lone Frank; Kirsten Hammann; Hanne-Vibeke Holst; Jesper Juul; Lene Kaaberbøl; Kim Leine; Anders Morgenthaler; Janne Teller; Mikael Wulff.

> Finlande. Claes Andersson; Linda Bondestam; Monika Fagerholm; Nils Erik Forsgård; Lena Holger; Johanna Ilmakunnas; Kaj Korkea-aho; Rosa Liksom; Ulla-Lena Lundberg; Merete Mazzarella; Henrik Meinander; Robert Meriruoho; Riikka Pulkkinen; Peter Sandström; Åsa Stenwall; Maria Turtschaninoff; Nils Erik Villstrand; Robert Åsbacka.

> Iles Féroé. Carl Jóhan Jensen; Marjun Kjelnæs; Tóroddur Poulsen.

> Islande. Ragnar ”RAX” Axelsson; Hugleikur Dagsson; Áslaug Jónsdóttir; Gerður Kristný; Einar Már Guðmundsson; Steinunn Sigurðardóttir; Sjón.

> Norvège. Oddgeir Bruaset; Per Arne Dahl; Gro Dahle; Gaute Heivoll; Anne Holt; Roy Jacobsen; Jan Kjærstad; Merethe Lindstrøm; Erlend Loe; Trude Marstein; Gry Moursund; Anne B. Ragde; Linn Ullman; Hanne Ørstavik.

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Le site officiel de la Göteborg book fair

© Dan Hansson / SvD / SCANPIX (Photo de Tomas Tranströmer)

7 juillet 2012

Lars Norén, les pieds dans le plat à Avignon

lars_norenLe 66e Festival d’Avignon s’ouvre ce samedi 7 juillet. Parmi les pièces présentées en Off, jusqu’au 28 juillet, Automne et Hiver de l’auteur suédois Lars Norén.

L’histoire ? C’est celle d’un repas de famille a priori ordinaire, mais sans petits-enfants ni conjoints. Comme quand elles étaient petites, sauf que les deux sœurs ont 40 ans et leurs parents, la soixantaine. On converse, du potage à l'avocat, jusqu'au pâté en croûte. Mais très vite la conversation dérape. Ann la cadette, met les pieds dans le plat. Poussant tout le monde à bout, elle oblige chacun à se mettre à table. Peu à peu les bienséances bourgeoises se défont, les masques tombent les uns après les autres. Au fil des plats et des bouteilles qui se vident, les paroles sourdement anodines laissent place aux accès de violence, et chacun met à nu sa propre histoire, chacun raconte sa vérité.

Automne & Hiver

C'est inévitable, un repas de famille ça réactive les schémas de l’enfance : rivalité entre les deux sœurs, hostilité de la cadette pour sa mère, solidarité de la fratrie face aux parents, désamour des parents… Démontant les rituels du repas familial, Lars Norén nous convie à une mise à nu des rouages constituant cette famille ordinaire. D’un humour féroce, son écriture incisive, à la structure extrêmement musicale, donne à entendre, entre les lignes, le mal-être, les renoncements et les espoirs de chacun.

Mis en scène par Agnès Renaud, le texte traduit du suédois par Jean-Louis Jacopin, Per Nygren et Marie de La Roche est interprété par Cristine Combe, Virginie Deville, Patrick Larzille et Sophie Torresi (compagnie Arcade).

Du 7 au 28 juillet 2012 au Festival Off d’Avignon, collège de la Salle / Théâtre du Préau. 13h40.

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> Bio express. Né le 9 mai 1944 à Stockholm, Lars Norén, dramaturge qui a écrit pour le théâtre, la radio et la télé, fait partie des auteurs de théâtre suédois les plus joués à l’étranger. Il a été assistant à la mise en scène au prestigieux Dramaten de Stockholm fondé en 1788 par Gustav III (le Théâtre royal dramatique suédois à Stockholm) que dirigea avant lui un certain Ingmar Bergman entre 1963 et 1966.

Puis, après plusieurs romans et poèmes, Lars Norén publia ses premières pièces confidentiellement à partir de 1968 avant de se faire connaître surtout en 1979 avec Dépression puis Oreste, présentée en 1980 au Dramaten. L'impact fut tel que, depuis Strindberg, aucun auteur de théâtre suédois n’avait été aussi fécond et autant joué en Suède comme à l’étranger. Auteur dramatique de l’année en Suède en 1983, il reçut en 1984, le Prix des critiques dramatiques. Vingt ans et plusieurs récompenses plus tard, ce fut la consécration en 2003 avec le « Petit Nobel », le prix nordique de l’Académie suédoise. Plus récemment, on lui doit la pièce À la mémoire d'Anna Politkovskaïa, consacrée à la journaliste russe assassinée en octobre 2006.

Les relations familiales forment son champ d’exploration idéal pour exhumer les travers humains, nos angoisses et nos tares, pour mieux analyser les rouages psychologiques de la société des hommes. En cela, le rapprochement avec Strindberg est évident. C’est en 1987 qu’il a écrit Automne et Hiver, ce huis clos familial acide présenté en Off à Avignon cette année.

Lars Noren Automne et Hiver

> Bibliographie. Auteur d’une quinzaine de recueils de poésie depuis Lilas (1963), Lars Norén est des plus prolifiques : ajoutez huit productions radiophoniques, une dizaine pour la télévision et surtout quatre romans et plus de soixante pièces… l’auteur a été de nombreuses fois traduit en français et publié à l’Arche. Voici, par ordre alphabétique ses ouvrages parus en français :

Acte, traduit du suédois par Sabine Vandersmissen et Jean-Marie Piemme. Paru en 2002 à l’Arche (avec Embrasser les Ombres, Bobby Fischer vit à Pasadena). 288 pages. 22€. ISBN : 2-85181-532-6.

Automne et hiver, traduit du suédois par Jean-Louis Jacopin, Per Nygren et Marie de La Roche. Paru en 1993 à l’Arche. 144 pages. 13€. ISBN : 2-85181-324-2. 

Biographies d’ombres, traduit du suédois par Katrin Ahlgren et René Zahnd. Paru à l’Arche en 2004 (avec Froid). 128 pages. 12 €. ISBN : 2-85181-575-X - 12€

Bobby Fischer vit à Pasadena, Traduit du suédois par Amélie Berg. Paru en 2002 à l’Arche (avec Actes, Bobby Fischer vit à Pasadena). 288 pages. 22€. ISBN : 2-85181-532-6.

Catégorie 3.1, traduit du suédois par Katrin Ahlgren et Jacques Serena. Paru en 2000 à l’Arche. 240 pages. 17,50 €. ISBN : 2-85181-456-7 - 17,50€.

Crises, traduit par Arnau Roig-Mora, Jean-Louis Martinelli et Camilla Bouchet. Paru en 2007 à l’Arche (avec Tristano). 176 pages. 16 €. ISBN : 2-85181-645-4.

Démons, traduit du suédois par Louis-Charles Sirjacq, en collaboration avec Per Nygren, en 1994 à l’Arche. 144 pages. 14 €. ISBN : 2-85181-344-7.

Détails, traduit par Camilla Bouchet et Amélie Wendling. Paru en 2007 à l’Arche. 144 pages. 13 €. ISBN : 2-85181-662-4.

Embrasser les ombres, Traduit du suédois par Per Nygren et Louis-Charles Sirjacq. Paru en 2002 à l’Arche (avec Actes et,Bobby Fischer vit à Pasadena). 288 pages. 22€. ISBN : 2-85181-532-6.

Froid, traduit du suédois par Katrin Ahlgren. Paru à l’Arche en 2004 (avec  Biographies d’ombres). 128 pages. 12 €. ISBN : 2-85181-575-X - 12€

Guerre, traduit du suédois par Katrin Ahlgren et René Zahnd. Paru à l’Arche en 2003. 96 pages. 11 €. ISBN : 2-85181-557-1.

Journal intime d’un auteur, traduit du suédois par Camilla Bouchet et Amélie Wendling. Paru à l’Arche en 2009. 320 pages. 22 €. ISBN : 2-85181-694-2.

La Force de tuer, traduit du suédois par Amélie Berg. Paru à l’Arche en 1988. 88 pages. 9 €. ISBN : 2-85181-201-7.

La Veillée, traduit du suédois par Amélie Berg. Paru en 1989 à l’Arche. 192 pages. 15 €. ISBN : 2-85181-231-9.

Le 20 Novembre, traduit du suédois par Katrin Ahlgren. Paru à l’Arche en 2007. 72 pages. ISBN : 2-85181-648-9.

Munich-Athènes, traduit du suédois par Pascale Balcon. Paru à l’Arche en 1992. 64 pages. 10 €. ISBN : 2-85181-296-3.

Sang, traduit du suédois par René Zahnd. Paru à l’Arche en 1999. 80 pages. 12 €. ISBN : 2-85181-424-9.

Tristano, traduit par Katrin Ahlgren et Claude Baqué. Paru en 2007 à l’Arche (avec Crises). 176 pages. 16 €. ISBN : 2-85181-645-4.

Photos /

© Corinne Marianne Pontoir (la Compagnie Arcade sur scène)

© Lina Ikse (portrait de Lars Norén)

7 juillet 2012

Passeurs de Scandinavies(s)

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Des Flandres en Scandinavie(s), voilà le thème de Passeurs de monde(s) 2012 qui aura lieu, cette année, du mercredi 17 au vendredi 26 octobre. Festival itinérant à l’automne devenu biennale, PdM fait étape dans plusieurs communes de la région Poitou-Charentes. Après les événements qu’organisait feu l’Office du livre depuis plus de vingt ans, c’est en 2007 que le festival a vu le jour.

Erling Jepsen

Parmi les auteurs (littérature, bande dessinée, et jeunesse) de langues française, flamande, néerlandaise, et scandinaves invités cette année, les amoureux de lettres nordiques y trouveront leur bonheur. Sont annoncés en effet le génie islandais Sjón, l’adorable Danois Erling Jepsen, les Suédois Kjell Eriksson et Carl-Henning Wijkmark, le Norvégien Gunnar Staalesen, en pleine actualité de son dernier polar traduit en France, et le dessinateur finlandais Tommi Musturi.

Kjell Eriksson

Du côté des traducteurs, on retrouvera Philippe Bouquet (lire ici son portrait), Régis Boyer, Eric Boury, Jean-Baptiste Coursaud, Alex Fouillet et Kirsi Kinnunen, si souvent cités sur Ex-libris & Polaris.

Le festival est organisé tous les deux ans par Le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes. Aidée par le conseil régional et le ministère de la Culture (via la Drac), cette association s’est donné pour mission de  « contribuer à mettre en œuvre les politiques publiques, dans les domaines de l’économie du livre, de la vie littéraire, de la lecture publique et du patrimoine écrit, en étroite collaboration avec les professionnels ». 

Fait de rencontres ponctuelles avec le public ou entre professionnels du livre, de lectures, de journées d’information et de découvertes, le festival Passeurs de monde(s) s’opère en étroite collaboration avec de nombreux partenaires (bibliothécaires, libraires, universitaires…) et attribue annuellement à un auteur lié à la région le Prix du livre en Poitou-Charentes.

Enfin, il organise en alternance dans les lycées de la région (avec le soutien du conseil régional) les concours Jeunes lecteurs critiques et Fabriquez un poème, pour sensibiliser les jeunes à la lecture des littératures contemporaines.

Le programme des rencontres et des lieux n’est pas bouclé. Nous y reviendrons. On  peut, en attendant, suivre l’actualité sur le blog du festival.

 
Photos de Kjell Eriksson et Erling Jepsen (© Ex-Libris & Polaris)

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4 juillet 2012

# Été – 2012 booklist

Ce n'est pas la folie éditoriale du côté des parutions nordiques, alors pas de sélection mensuelle, cette fois, mais une photo instantanée des projets d'éditions. De ce mois de juillet au début de l'automne, tour d'horizon des traductions en français connues à ce jour. La rubrique sera enrichie au gré des nouvelles annonces des éditeurs.

Danemark


Jorn Riel

Big book de Jørn Riel (Quatre racontars : La vierge froide et autres racontars ; Un safari arctique et autres racontars ; La passion secrète de Fjordur et autres racontars ; Un curé d’enfer et autres racontars), paru le 5 juillet 2012, en poche, chez 10/18. 12,90 €.

On ne présente plus les racontars de Jørn Riel qui ont déjà eu leur place de choix avec Le Roi Oscar ICI. Tout l'art de la narration de l'auteur danois est également illustré par Le Garçon qui voulait devenir un être humain.

 

Islande

 

Les Anges noirs (Svartir englar), d’Ævar Örn Jósepsson, à paraître chez Gallimard (Série noire), le 13 septembre 2012. Traduit de l’islandais par Séverine Daucourt-Fridriksson.

L'Embellie

L’Embellie, d’Audur Ava Ólafsdóttir, à paraître le 23 août 2012 chez Zulma. 400 pages. 22 €. ISBN 978-2-84304-589-9.

Après Rosa Candida (chroniqué ici), Audur Ava Ólafsdóttir nous offre un drôle de tour de l’Islande. En ce ténébreux mois de novembre, la narratrice voit son mari la quitter sans préavis et sa meilleure amie lui confier son fils de quatre ans. Qu'à cela ne tienne, elle partira pour un tour de son île noire, seule avec Tumi, étrange petit bonhomme, presque sourd, avec de grosses loupes en guise de lunettes.

 

Norvège


Min Kamp 1

La Mort d’un père (Min kamp/Første bok), de Karl Ove Knausgaard, premier des six volumes à paraître le 13 septembre 2012 chez Denoël (collection Denoël & d’ailleurs). Traduit du norvégien par Marie-Pierre Fiquet. 25 €. ISBN : 978-2-20711-000-3. Voir l’article précédent.

 

Gunnar Staalesen

Comme dans un miroir de Gunnar Staalesen, polar traduit du norvégien par Alexis Fouillet. A paraître en septembre 2012 chez Gaïa. 304 pages. 23 €. ISBN: 978-2-84720-259-5.

En 1957, une femme sublime se tue en voiture avec son amant saxophoniste, dans un pacte macabre. Elle laisse deux filles. Trente-cinq ans plus tard, lorsque l’une disparaît avec son mari, sa sœur imagine le pire et appelle Varg Veum. Entre le mythe des amants suicidés en 1957 et le présent, beaucoup de recoupements, de ressemblances, comme dans un miroir. Les chalets de montagne sur les hauteurs de Bergen se renvoient les échos du passé par-delà les fjords. Sur fond de trafic en tous genres, la Norvège des années 90 a bien les deux pieds dans son époque. Varg Veum aussi : il vient d’acheter un téléphone portable ! Un nouvel épisode jazzy pour le privé norvégien.

L'Ecriture sur le mur

L’écriture sur le mur de Gunnar Staalesen, polar traduit du norvégien par Alexis Fouillet. A paraître en poche chez Gallimard (Folio policier) en septembre 2012. Paru initialement chez Gaïa, le 2 février 2011.

Un juge d'instance est retrouvé mort dans une chambre de l'un des meilleurs hôtels de Bergen, vêtu de dessous féminins. Quelques jours plus tard, le détective privé Varg Veum est engagé pour retrouver une jeune fille disparue. Peu de temps après avoir commencé son enquête, il reçoit un avis de décès à son nom.

Erlend Loe

Muléum d’Erlend Loe, paru en poche chez 10/18 le 5 juillet 2012 (initialement en avril 2008 chez Gaïa, voir le livre chroniqué ici). Traduit du Norvégien par Jean-Baptiste Coursaud. 216 pages. 7,5 €.

 

Suède


Wallander Un

L’intégrale Wallender d’Henning Mankell à paraître au Seuil (collection Opus) en trois volumes, de 1.040 à 1.472 pages, le 4 octobre 2012 (25,40 € chaque). Voir l’article précédent.


 

1 juillet 2012

Denoël s’attaque à la sulfureuse autobiograhie de Karl Ove Knausgård

Karl Ove Knausgård

Attention, phénomène. Sous le titre de La Mort d’un père, les Éditions Denoël s’apprêtent à publier, le 13 septembre 2012, le premier des six tomes de l’autobiographie de Karl Ove Knausgaard (Knausgård en norvégien) qui a fait vibrer la planète éditoriale norvégienne.

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Écrire 3.622 pages sur sa propre vie à un peu plus de 40 ans, les publier rapidement en six tomes (entre 2009 et 2011) et titrer l’œuvre Min Kamp (Mon Combat) comme le fit en 1924 un apprenti dictateur moustachu derrière les barreaux de sa cellule bavaroise de Landberg, cela suscite son pesant de curiosité.

Ce n’est néanmoins pas tant pour son titre que le roman autobiographique de Karl Ove Knausgaard a suscité un intérêt incroyable lors de sa publication en Norvège en 2009. Mais pour la question qu’il soulève. Sous prétexte de sincérité, peut-on tout dire, tout écrire, jusqu’à déballer le linge sale de sa famille, pour en faire un projet littéraire ? « C’est de la littérature de Judas », répondirent à cette question quatorze membres de sa famille qui se répandirent dans la presse pour confier tout le mal qu’ils pensaient de cette entreprise. Et voilà comment la littérature norvégienne a découvert qu’un auteur pouvait « scandaleusement » mettre sa propre vie en scène - jusqu’au lavage de son linge - dans ses romans, quitte même à éclabousser son entourage dans ses pulsions autofictionnelles.

Alors, Karl Ove Knausgaard, un Judas ? Celui qui, pour la petite histoire, fut consulté pour une traduction de la Bible en Norvégien, se voit davantage dans la peau d’un Faust qui aurait sacrifié ses amis et jusqu’à son ex-épouse pour ce pacte avec sa littérature-vérité.

Le fait est qu’en se racontant dans le détail, en allant jusqu’à provoquer une rupture avec une partie de sa famille paternelle furibonde de ce déballage, en revisitant l’âme d’un père perdu dans ses errements alcooliques quasi suicidaires, Karl Ove Knausgaard, père de trois enfants et écrivain, a fait bouger quelques lignes d’écriture. « C’est sans nul doute son rapport sans concession à la réalité qui a valu à Karl Ove Knausgaard les gros titres des journaux norvégiens et a incité la presse à aller chercher ses anciens camarades de classe, professeurs, dealers et petites amies pour leur demander si les choses s’étaient réellement passées comme il le raconte », expliqua ainsi la presse danoise, en pleine rentrée littéraire 2010.

Le feu de paille du scandale fut néanmoins rapidement éteint par les faveurs des critiques et du public. Au point même de constituer un phénomène éditorial sans précédent en Norvège et de décrocher le must des prix littéraires norvégiens, le Prix Brage 2009. Beaucoup de lecteurs se sont identifiés à ce style direct unique, douloureux, déchirant – à l’instar du passage de la mort du père dans le premier volume. De la mort, il est en effet question… et de la vie surtout dans le reste de cette œuvre monumentale dont les droits des quatre premiers volumes tirés à 200.000 exemplaires ont été achetés dans seize pays. On comprend le phénomène quand on sait que, dans cette Norvège aux 5 millions d’habitants, ce sont 450.000 exemplaires de la série qui ont été écoulés !

C’est que l’identification fonctionne. A travers son enfance et les souvenirs de sa vie privée ancrés en Norvège, l’auteur a voulu porter un message universel sur les sentiments humains. Karl Ove Knausgaard indique même que « ce projet identitaire » a été bien moins de se raconter au travers de souvenirs pas toujours fidèles que de nourrir un projet littéraire voué à la vérité mise à nu. Cette quête absolue, en une forme de récit hyperréaliste où tout doit être dit, écrit, offre toute sa force au récit. Coller au plus concret des détails du quotidien, jusqu’à les répéter inlassablement, comme pour exorciser la réalité, en somme.

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Min Kamp totale

> Bio. Né à Olso, le 6 décembre 1968, Karl Ove Knausgaard vit aujourd’hui à Malmö, en Suède, avec son épouse et ses trois enfants.

Après ses études littéraires à Bergen, il a publié sont premier roman à 30 ans. En 1998 paraissait en effet Ute av Verden (Hors du monde) qui lui valut le Prix de la critique norvégienne. Jamais, avant lui, un premier roman n’avait décroché cette distinction. Dans ce premier ouvrage, sorte de Noce Blanche à la sauce norvégienne, il campe un professeur remplaçant qui tombe amoureux d’une élève de 13 ans.

En 2004, son second roman, En tid for alt (Un temps pour tout) fut nommé au très prestigieux Prix de littérature du conseil nordique. Dans cette fiction, le narrateur entreprend d’écrire un livre de référence sur l’histoire des anges en puisant son inspiration dans un le traité d’un théologien du 16e siècle qui aurait rencontré un couple d’anges quand il était jeune…

Min Kamp a paru en six volumes, entre 2009 et 2011 chez Forlaget Oktober. La Mort d’un père, premier tome de Min Kamp, est annoncé le 13 septembre 2012 chez Denoël, collection « Denoël & d’ailleurs ». Traduction : Marie-Pierre Fiquet (25 €). Dans ce premier de la série, le lecteur fait connaissance avec Karl Ove Knausgaard, dans la peau d’un lycéen de 16 ans qui sera confronté à la mort de son père alcoolique. Premier roman de Karl Ove Knausgaard publié en français, il sortira simultanément en Espagne à la rentrée.

> Pour aller plus loin. Frédéric Aceituno des Éditions Denoël, nous sert une vidéo toute chaude (ce 28 juin) d’une rencontre entre Nathalie Proth, attachée de presse chez Denoël, et Karl Ove Knausgaard.

- A la veille de la parution du sixième et dernier tome de Min kamp, Karl Ove Knausgaard, était à la Maison de la littérature à Bruxelles, en novembre 2011 pour le lancement du premier opus en néerlandais. A lire ici.

- Le 16 septembre 2010, l’article paru dans le journal danois Politiken a été repris dans Courrier international : lire ici.

© Photo Astrid Dalum et Forlaget Oktober 

30 juin 2012

La liste des dix traductions norvégiennes en français soutenues par Norla en 2012

Parutions norvégiennes


Parmi ses missions de promotion, Norla, le centre pour la littérature norvégienne à l’étranger, soutient la traduction. Le bureau d’information à but non lucratif et subventionné par l’État norvégien accorde, à ce titre, des aides à la traduction des œuvres norvégiennes dans les langues étrangères. L’agence, qui vient de publier ses chiffres du premier semestre, indique ainsi qu'elle a soutenu 174 livres, traduits en ce début d’année dans trente-six langues.

Sur ces 174 traductions, c’est en allemand que le plus grand nombre d’ouvrages (dix-huit) ont été édités de janvier à juin. Suivent la Pologne (13) et le Danemark (12) ; la France arrive quatrième (devant la langue anglaise !) avec dix titres, tous parus d’ailleurs en ce premier semestre 2012. Les voici :

Faux-semblants (titre original : Kvinnen i plast ; année de parution en Norvège, 2010) de Kjell Ola Dahl, roman policier paru le 19 janvier 2012 chez Gallimard. Traduit par Alain Gnaedig.

Lettres/Une tentative (Brev, 2005) de Tomas Espedal, roman paru chez Actes Sud, le 4 janvier 2012. Traduit par Terje Sinding.

Camion-poubelle à suivre (Søppel, 2010) de Max Estes, album jeunesse paru le 9 février 2012 aux Éditions La Joie De Lire (Suisse). Traduit par Jean-Baptiste Coursaud.

Le sixième homme (Kullunge, 2008) de Monica Kristensen, roman policier paru le 11 janvier 2012, chez Gaïa. Traduit par Loup-Maelle Besancon.

Comme neige (Hvit som snø, 2002) de Jon Michelet, roman policier paru le 5 avril 2012 aux Presses universitaires de Caen. Traduit par Alex Fouillet.

Le Train d’Ajaccio (Toget fra Ajaccio, 2009) d’Anne Oterholm, roman paru le 23 mai 2012, aux Presses universitaires de Caen. Traduit par Céline Romand-Monnier.

La Petite terreur de Glimmerdal (Tonje Glimmerdal, 2009) de Maria Parr, roman jeunesse paru le 15 février 2012 aux Éditions Thierry Magnier. Traduit par Jean-Baptiste Coursaud.

Cher Gabriel (Kjære Gabriel, 2006) d’Halfdan W. Freihow, roman paru le 7 mars 2012 chez Gaïa. Traduit par Ellen Foucher.

Tous les vendredis devant le portail (Hver fredag foran porten, 1984), récit historique de Wanda Heger & Guri Hjeltnes, paru chez Gaïa le 29 avril 2009. Traduit par Luce Hinsch.

La Toile brune (Det mørke nettet, 2011) d’Øyvind Strømmen, essai paru le 4 avril 2012 chez Actes Sud. Traduit par Loup-Maelle Besancon.

 

29 juin 2012

Les lauriers poussent aussi au nord

Dans la foulée du Prix Nobel de littérature à Tomas Tranströmer, en octobre 2011 - premier Nobel nordique depuis le duo suédois Eyvind Johnson et Harry Martinson en 1974 - quels ont été les auteurs nordiques à glaner quelques lauriers en ce début 2012 ? Petit résumé doré, de la Norvège à l'Islande.

Le Grand Prix de littérature du Conseil nordique

à Merethe Lindstrøm

Merethe Lindstrøm

Avant Per Petterson en 2009 couronné pour Maudit soit le fleuve du temps, il fallait remonter à Lars Saabye Christensen en 2002 pour voir le Grand Prix de littérature du Conseil nordique attribué à un Norvégien. Quand on sait, qui plus est, que, depuis la création du prix en 1961, une seule Norvégienne l’avait jusqu’alors décroché (Herbjørg Wassmo en 1987), on mesure ce que Merethe Lindstrøm a dû ressentir. Dixième auteur norvégien a décrocher en quarante ans le plus prestigieux prix littéraire nordique depuis le fameux Palais de verre de Vesaas en 1964, Merethe Lindstrøm est née le 26 mai 1963 à Bergen. Auteur de sept romans, dont son premier a été publié à l’âge de 20 ans, et d’autant de recueils de nouvelles, elle a aussi chanté dans des groupes de rock à Berlin et Oslo et vit aujourd’hui dans la capitale norvégienne.

Dager i stillhetens historie, recueil de nouvelles de 2011 pour lequel elle a été récompensée en mars dernier traite du vieillissement, au travers d’un couple, Eva et Simon.

Traduction française

> Le Remplaçant, paru chez Gallimard (Du monde entier), le 3 novembre 2000. Traduit du norvégien par Alain Gnaedig. Titre original : Stedfortrederen (1997). ISBN : 2-07-075533-9.

 

Le « petit Nobel » à Einar Már Guðmundsson

Einar Már Guðmundsson

Grand Prix de littérature du Conseil nordique (la pépite des récompenses pour un auteur des cinq pays nordiques) en 1995 pour Les anges de l’univers, romancier, poète et nouvelliste, l’auteur islandais Einar Már Guðmundsson a reçu, le 11 avril dernier, le prix nordique de l'Académie suédoise (Nordiska pris). Il est le troisième Islandais à décrocher les 350.000 kr du « Nordic prize », après Thor Vilhjálmsson en 1992 et Guðbergur Bergsson en 2004. En 1999, il avait également reçu la médaillle Karen-Blixen de l’académie danoise.

Einar Már Guðmundsson, qui est également essayiste et qui a signé des écrits sur la société, la politique et la culture, est né le 18 septembre 1954 à Reykjavik. Dans son écriture, dit-il, il tente d’examiner ce que « la réalité recèle de magique en même temps que la part de réalité que la magie recèle ».

Après un recueil de poésies en 1980, il publie en 1985 son premier roman, Les chevaliers de l’escalier rond. Les anges de l’univers, primé en 1995, a eté adapté au cinéma en 2000. Il a notamment poursuivi son chemin avec une saga familiale en trois opus publiés en 1999, 2002 et 2004 et non traduits en France.

Traductions françaises

> Les anges de l’univers (1995, titre original : Englar alheimsins), paru en France en  novembre 1998 chez Flammation (traduit par Catherine Eyjólfsson). ISBN : 978-2-08-067275-9. Puis en poche chez 10/18, le 3 mai 2001.

> Les chevaliers de l’escalier rond (1985, titre original : Riddarar hringstigans), paru en France chez Gaïa, le 7 juin 2007. Traduit par Éric Boury. ISBN : 978-2-84720-097-3.

> Le testament des gouttes de pluie (1986, titre original : Eftirmáli regndropanna), paru en France le 7 novembre 2008 chez Gaïa. Traduit par Éric Boury. ISBN : 978-2-84720-130-7.

 

 

28 juin 2012

Les héros oubliés (I) – Philippe Bouquet, tête-bêche et fine plume

Philippe Bouquet Une

On aurait beau maîtriser les vingt-et-une langues les plus parlées au monde - représentant 70 % de la population du globe - cela ne nous donnerait même pas accès à l’une des langues scandinaves ! Seulement 20 millions des 7 milliards de terriens les pratiquent en tant que langue maternelle. Nous les lecteurs élevés au bon grain de la littérature classique française, comme à l’ivraie des folies anglo-saxonnes qui nous transportent, que serions-nous sans ces héros de l’ombre ? Voici ouvert le grand livre de ces passeurs de littérature. Premier chapitre avec Philippe Bouquet, traducteur de suédois et bien plus que cela. Voici la saga des « Héros oubliés ». Chapitre 1.

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Prêtez un peu de votre oreille à sa vie. Vous entendrez un cri. Pas le simple Cri de l’engoulevent de Kjell Eriksson qu’il a traduit pour Gaïa en 2010. D’accord, Philippe Bouquet a lui aussi sa place sur les crêtes de l’immense vague du polar suédois éclaboussant nos rivages d’Europe de ses embruns dorés. Mais, de sa modeste maison mancelle, la fenêtre qu’il vous ouvre vous emmène bien au-delà de cette écume des jours. Ce cri a le pouvoir d’élargir vos horizons. Ce cri, le voici : « Oui, il est possible d’écrire des œuvres à la fois de qualité et accessibles à tous, des œuvres qui parlent de choses sérieuses sans tomber dans ce qu’il est convenu d’appeler sinistrose, des œuvres qui donnent envie de vivre, de travailler et d’aimer, des œuvres saines mais sans fadeur, profondes mais dénuées de sophistication, des œuvres pleines, humaines, sans concessions, qui vous rendent fier d’être un homme ».

Tout Philippe Bouquet est là. Du gamin né à Sedan en 1937 au retraité actif qui continue à traduire en français les œuvres suédoises dans son pavillon du Mans, cet humaniste porte en lui chacun de ses mots placés à dessein, par ses soins, dans l’avant-propos de l’œuvre de sa vie : La Bêche & la plume.

L’exigence de la qualité, la notion de la transmission – quasi élevée au rang de service public -, tout le sérieux de la littérature comme le piquant et l’humour qui transpercent souvent son regard bleu : voilà Philippe Bouquet, esprit vif. Malin. On voit poindre la critique dès que plissent ses lèvres en se moquant parfois du monde qui bruisse autour de lui. Le travail, l’amour… la soif de vivre. Oui, décidemment, il est là, tout inclus dans ses propres mots.

Philippe Bouquet Un

L’humour, donc. « Je suis né à Sedan. Il y a eu 1870, 1914, 1940… et il y a eu ma naissance par-dessus le marché ! Je suis né à Sedan à cause de la ligne Maginot. Elle n’a servi à rien, sauf à me faire naître, ce qui de mon point de vue, est quand même important », sourit-il. Son père, ingénieur électricien dont la firme a décroché un marché dans le secteur ardennais, était Haut-Normand et sa mère, Sarthoise.

Sur les pas maternels, c’est d’ailleurs dans la Sarthe qu’il a grandi. C’est au Mans qu’il est passé d’élève à professeur, à quelques années d’écart dans un même lycée. Puis, direction l’université de Caen. Agrégé d'anglais, docteur d'État en langues scandinaves, il sera même directeur de l'U.E.R. des langues vivantes étrangères (LVE) de Caen, de 1978 à 1985. Pour ceux que la numérologie excite un tantinet, ajoutons que le « sept » a aussi beaucoup compté dans sa vie : né en 1937, assistant en université en 1967 et retraité en 1997, pile le jour de ses 60 ans. Jeu, « sept » et match d’une vie intense, avec au milieu de tout cela, une épuisante montée au filet de dix ans entre 1967 et 1977, dont on ne ressort pas indemne : sa thèse, cette fameuse thèse à laquelle nous devons beaucoup de nos connaissance sur le roman prolétarien suédois : L’individu et la société dans les œuvres des romanciers prolétariens suédois, 1910-1960.

« J’en suis sorti épuisé, à ramasser à la petite cuillère littéralement. Syndrome d’après thèse. Dix ans de travail pratiquement quotidien, de recherches, de composition, de rédaction », se souvient-il. Ce travail obsessionnel avait même fini par hanter ses rêves. Il lui en reste, encore aujourd’hui, ces poussières d’étoiles qui viennent heurter comme des météorites ses nuits d’insomnie, rêvant éveillé au milieu de ses livres.

Toujours est-il qu’il a été happé alors par une certitude. « Le vrai universitaire, il tue le mal par le mal, il vient de finir une thèse et il repique au turf aussitôt. Moi, je me suis dit : plus jamais cela !  J’avais 40 ans. Qu’est-ce que je pouvais bien faire d’intelligent de ma vie ? » Happé par une certitude, et par un train aussi.  « J’étais effectivement dans un train vers Caen et je lisais le roman d’Henrik Tikkanen ‘‘30 Åriga kriget ’’, ce qui veut dire en français ‘‘ La Guerre de  30 ans ’’ : l’histoire d’un soldat finlandais qui continue tout seul la Deuxième Guerre mondiale parce que son chef qui vient d’être tué n’a pas pu l’avertir que la guerre était finie… Pourquoi pas ? Traduire ça, cela pourrait être marrant : j’ai mis le doigt dans l’engrenage, je n’en suis pas sorti. »

Philippe Bouquet Quatre

Cette boîte de pandore qui s’ouvre sur trente ans de Guerre, c’est drôle quand on y pense. En 2010, cela a fait exactement 30 ans que la première traduction de Philippe Bouquet a été publiée, chez… Pandora. Ce fut bel et bien ce roman lu dans un train vers Caen. Mais l’adaptation satirique à la sève finlandaise de ces Japonais errant sur les îles du Pacifique fut publiée sous Le Héros oublié. Combien de traducteurs ont droit à un tel titre pour ouvrir une carrière de héros oublié !

Voilà donc comment un jour, dans un train, un professeur à l'université de Caen du département finno-scandinave, devint traducteur, avant de s’exercer à la critique. Voilà comment débuta, à l’automne 1976, un voyage chargé aujourd’hui de plus de 200 œuvres traduites, dont plus de 140 livres, pour la plupart des romans.

Mais on en n’arrive jamais vraiment là par hasard. L’exigence de la qualité d’un taiseux qui irait s’user jusqu’à la corde n’y suffit pas non plus. La volonté de transmettre, de passer les meilleurs plats, est comme une chambre de combustion qui alimente le feu sacré. Ce cri, c’est aussi celui de la brûlure. Il en frémit encore : « L’envie de transmettre, c’est le fil directeur de ma vie. Je me suis toujours trouvé bien en classe devant les jeunes à qui je parlais. Au lycée, je me réveillais littéralement quand la cloche sonnait : j’aurais continué pendant des heures ! »

Le prolongement de tout cela, au bénéfice du lecteur, peut aussi être tellement frustrant pour le traducteur ! « C’est certainement pour ça que je suis passé en grande partie à la traduction, c’était pour transmettre à un autre public que je pouvais souhaiter un petit peu plus vaste… et c’est là que je me suis complètement planté d’ailleurs ! Je voulais élargir, au-delà du cercle de mes propres étudiants. J’ai toujours aimé apporter quelque chose : j’étais dans mon rôle, là. Des étudiants se sont manifestés, dix ans, vingt ans après. Un jour l’un d’entre-eux m’a confié : ‘‘ Heureusement que vous n’aviez pas vu ce que je prenais en note dans vos cours… ça n’avait pas toujours un rapport très direct avec votre propos ’’. Je lui ai répondu que c’était un des plus beaux compliments que l’on pouvait me faire. ‘‘ Cela prouve une chose, c’est que je te faisais penser par toi-même ’’, ai-je ajouté. Éveiller les consciences, quel bonheur ! »

Ce bonheur a en effet ses limites quand on réalise que l’auditoire peut se résumer à vingt-sept exemplaires en tout, chiffre des ventes de Rébecca ta belle-mère, bouillon d’un éditeur belge, signé Marianne Jeffmar et traduit par Philippe Bouquet. Quand on manie la bêche, on a les pieds sur terre. « C’est frustrant, parce que tu ne sais jamais pour qui tu traduis, tu ne sais d’ailleurs pas si tu traduis pour quelqu’un ». C’est un cri plaintif, lucide et plein d’humilité. Comment pourrait-il, après cela, renier toute une vie dédiée à l’écrivain « qui veut se souvenir qu’il est issu de la classe des prolétaires et qui en est fier » ? Un repère comme le balise d’une vie posée dans l’introduction de La Bêche & la plume.

« Le plus difficile à faire passer

c’est ce qui n’est pas écrit.

Il n’y a pas de création, là-dedans,

mais il y a de la ruse

pour écrire entre les lignes. »

Il y a aussi ce fichu cri qui échoue sur les aspérités de la vie. Philippe Bouquet, tête-bêche, c’est un « Marre de traduire pour personne ! » lancé sur un ton bougon. La consolation magique viendra d’un regard de lecteur, vous offrant un merci qui n’a pas de prix pour lui avoir donné à rencontrer la fabuleuse Saga des émigrants, de Vilhelm Moberg, texte fondateur. Il n’empêche, il y a de quoi nourrir quelque amertume quand une trilogie policière emporte tout alors qu’on aurait beaucoup à redire sur ce que l’on a présenté là au lecteur.

A l’automne 2010, lors d’une journée consacrée au polar scandinave, à la BnF (voir ici), il s’emporta un peu pour dire que « tout traducteur a beau faire des erreurs, le lecteur, ça se respecte ». L’occasion de percer, avec son regard bleu-vif, les mystères de cette alchimie. « La traduction, c’est aussi échouer dix fois et se relever. La traduction, c’est en tout cas la fidélité et la lisibilité. Entre les deux, il faut se débrouiller. Le plus difficile à faire passer c’est ce qui n’est pas écrit. Il n’y a pas de création, là-dedans, mais il y a de la ruse pour écrire entre les lignes. »

Sans concession, ce Philippe Bouquet tête-bêche ? Lisez toujours aussi attentivement son texte qui chapeaute La Bêche & la plume - l’œuvre de sa vie sur le roman prolétarien suédois - et vous comprendrez sans mal sa quête éternelle d’un « ensemble littéraire et une forme de littérature qui nous paraissent uniques au monde et qui constituent un espoir, une ultime planche de salut pour un art en grand danger de sclérose intellectuelle d’une part, de corruption journalistico-mercantile d’autre part ». Une confidence, tenez. Philippe Bouquet a traduit quatre romans sous pseudonyme, dont il a refusé la paternité parce que l’éditeur « a voulu me faire mettre des choses que je ne voulais pas ». Humaniste, oui. Mais humaniste entier.

Philippe Bouquet Trois

La rigueur du travail a toujours fait avancer cette locomotive qui, dans les restes de chaleur sèche de 1976, tira ce fameux train vers Caen. Comme tous ses congénères, qu’ils peuplent ses romans prolétariens ou qu’ils s’évertuent chaque jour à faire de leur tâche une exigence, ce forçat s’appesantit parfois quand il se retourne. A trop en faire, a-t-on manqué l’essentiel ? « J’ai sans doute survalorisé le travail. J’ai un peu forcé. Oui, j’ai prêté beaucoup d’attention au travail, mais j’ai tellement d’exemples d’oisiveté autour de moi qui me rendent fou ! », esquive-t-il. « Pas assez le temps de lire », conclut-il en balayant quelques livres d’un revers de cette main à l’écriture si fine. Tête-bêche, oui et fine plume.

Tous les travailleurs cherchent ainsi à se déculpabiliser. Cette mauvaise foi est imperceptible parce qu’elle se noie dans la passion. Voilà donc pourquoi ce cri est beau. Le cri de Philippe Bouquet a l’accent d’une langue universelle.  Celle de l’amour.

Retour aux origines. Il a rencontré la langue scandinave, dans un groupe d’étudiants, lors d’un séjour en Angleterre, à 19 ans . « A l’université, avec les élèves, le suédois, c’était un trésor linguistique et littéraire à ma disposition pour piquer les consciences. Mais moi aussi j’ai été piqué : je suis tombé amoureux de la langue suédoise à 19 ans. Les amours, à 19 ans, sont graves et sérieuses. L’avantage, c’est que je suis tombé amoureux d’une langue – par la suite d’une littérature –, ce n’est pas comme un être humain, elle ne vous déçoit pas. »

L’amour, comme langue universelle, disions-nous. Et au milieu coule une rivière de mots, en suédois. « J’aime la langue suédoise comme au premier jour, confie Philippe Bouquet. Deux choses m’ont frappé dès le début : elle est belle et expressive. J’aime sa musicalité. Elle nous permet d’exprimer les choses sans passer par les concepts. Pas besoin d’intellectualiser : on a une saisie directe par les sons, par les rimes, par les mélodies. Elle est très mélodieuse et, aussi, très expressive. On peut en faire beaucoup de choses. La langue suédoise est très plastique. En tant qu’outil de communication et d’expression personnelle, elle permet d’exprimer énormément de choses et même de les créer, pour peu qu’on soit un peu doué. On peut tout faire avec une racine, on peut tout imaginer de nos quatre catégories grammaticales fondamentales (verbe, substantif, adjectif, adverbe), avec une démultiplication du vocabulaire, une dérivation, un empilement des couches sémantiques pour en faire de nouveaux mots ; il n’y a pas de limite. Tant que ça a du sens, ça passe ! » Une langue, pâte à modeler « des œuvres pleines, humaines, sans concessions, qui vous rendent fier d’être un homme ». Comme un cri originel.

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Pour aller plus loin… Pour aller plus loin… Pour aller plus loin…

   

> La Bêche & La Plume. Voilà l’hommage de Philippe Bouquet au roman prolétarien suédois, à « une école littéraire d’une extraordinaire originalité, richesse et fécondité », écrit-il. Cette école, est une aventure littéraire et humaine : être issu du peuple et écrire sur le peuple, porter en soi la fierté de ses origines sociales en y restant fidèle, c’est aussi un engagement moral. Quant à nous, heureux lecteurs à qui nous est offert cet incomparable travail, nous laisser « pénétrer par la vie des êtres qui œuvrent » nous en apprend beaucoup plus sur nous-mêmes que nous le pensons !

Dans La Tombe du bœuf, l’une de ses nouvelles (parue chez Actes Sud, 1982), l’auteur suédois Ivar Lo-Johansson (1901-1990) utilise une parabole qui fait mouche. L’avant-propos de sa trilogie La Bêche & la plume permet à Philippe Bouquet d‘expliquer pourquoi il a repris l’image. Ainsi, grâce au courage d’un éditeur (Plein Chant, collection « Voix d’en bas »), de 1986 (tome I) à 1988 (tome III), l’inlassable labourage de l’universitaire se transforme en semaison. D’une thèse (L’individu et la société dans les œuvres des romanciers prolétariens suédois, 1910-1960) parue en 1980 parmi les reproductions de l’Université de Lille III puis diffusée par la Librairie Champion (Slatkine), on passe à une mine d’or littéraire, une immense référence en France sur le roman prolétarien suédois.

Cette aventure nous est transmise d’abord sous forme d’essai, en une exploration profonde, didactique, contextualisée, qui nous apprend beaucoup de ce grand bond en avant né de la percée démocratique des années 1920 qui allait aboutir à une véritable révolution culturelle en Suède. Elle est truffée de références (le Berrichon adoptif que je suis aura même saisi au vol Marguerite Audoux, p. 29, c’est dire !) et nous ouvre un champ, plutôt un plein champ d’horizons nouveaux, sous la plume des Gustav Hedenvind-Eriksson (1880-1967), Martin Koch (1882-1940), Vilhem Moberg (1898-1973), Eyvind Johnson (1900-1976), Ivar Lo-Johansson (1901-1989), Harry Martinson (1904-1978), Moa Martinson (1890-1964), Jan Fridegård (1897-1968), Rudolf Värnlund (1900-1945), Folke Fridell (1904-1985) ou Josef Kjellgren (1907-1948), Karl Johan Östman (1876-1953) entre autres… Autant d’auteurs qu’il traduira.

Le second volume est composé de nouvelles choisies de douze écrivains prolétariens suédois (La Bêche & la plume, II, Un matin de novembre, 1987, Prix du livre en Poitou-Charentes). Enfin, le troisième tome sur L’écrivain et la société (1988) est une anthologie. Elle recèle des pépites, comme ce texte de Martin Koch, devrions-nous plutôt écrire ce manifeste ou cet acte de foi, publié en 1929 : « Si un écrivain prend son œuvre au sérieux, s’il se livre à un examen consciencieux de la réalité donnée et du bien-fondé des jugements de valeur passés sur celle-ci pour en faire une création vivante – et si l’on qualifie cela de littérature prolétarienne tout simplement parce que c’est au sein du prolétariat que se posent les problèmes les plus graves de notre temps, quel écrivain contemporain pourrait alors se refuser à mériter cet épithète ? »  

Jeunes écrivains français vous caressant le nombril de l’autofiction, que n’avez-vous lu les conseils de Martin Koch ? « Ne pense pas au public, pendant que tu écris. Pense seulement à faire ton travail aussi bien que possible. Mais si vraiment tu es mordu, mon pauvre ami, tu ne seras jamais satisfait. Il peut cependant se faire que tu en viennes à penser que ceci ou cela peut passer. – Eh bien alors, laisse-le passer ! »

Pour en revenir à l’image de cette aventure empruntée à Ivar Lo-Johansson, voici donc cet extrait qui, cinquante ans après avoir été écrit, inspira à Philippe Bouquet ce titre de La Bêche & la plume qui est aujourd’hui une référence incontestable :

« Au début, l’humanité n’a pu concevoir que la bêche. A cette époque, tous les outils étaient grossiers, tout était massif. Mais, au bout d’un certain temps, les hommes ont imaginé la bêche à dents. Celle-ci constituait un progrès. Puis, au bout du temps nécessaire, ils ont inventé la fourche, le plus léger de tous les outils connus. Il ne restait presque plus rien de la bêche, la bêche à dents elle-même avait été affinée, tout le poids en avait été supprimé (…) Avec la fourche, c’est la légèreté qui a triomphé (…) Or, la plume est le plus léger de tous les outils, – ce peut être une simple plume d’oie – mais c’est au moyen de la plume que l’on peut effectuer les choses les plus difficiles. »

 

La saga des émigrants

> Une saga, comme un texte fondateur. Parmi les très grandes œuvres que Philippe Bouquet nous a transmises, grâce à son travail de traduction, figure un monument : La Saga des émigrants, de Vilhelm Moberg (1898-1973). A ceux dont la route littéraire vers le Nouveau-Monde n’aurait croisé que des « Pilgrim Fathers » anglais dans le sillage du Mayflower, voici présentée une vision encore plus large, avec l’histoire des pionniers suédois partis à la conquête de l’Amérique. Embarqué sur la Charlotta« noble navire de commerce et non un vulgaire transporteur d’émigrants » -  jusqu’au port de New-York, ne constitue qu’une première étape pour le lecteur qui plongera profondément dans l’âme humaine. Les trois premières lignes lancent efficacement cette longue quête : « Voici l’histoire d’un certain nombre de gens qui ont quitté leur foyer de Ljuder, dans le Småland, pour émigrer en Amérique du Nord ». Jusqu’à la fin en forme d’émouvante bénédiction épistolaire, la route sera jalonnée de nuages, certes, mais de grands éclairs avec l’espoir et son lyrisme fulgurant : « La terre que Dieu avait créée était trop vaste pour que leurs pauvres esprits puissent l’embrasser en entier. Alors, une certitude qui les avait déjà effleurés s’implanta fermement dans leur cœur et dans leur âme : jamais plus ils ne parcourraient ce chemin, jamais ils ne reviendraient en arrière, jamais ils ne reverraient leur pays natal. » (Troisième partie)

A travers le destin de Kristina et Karl Oskar, de Robert, son frère, d’Arvid, de Danjel Andreasson ou d’Ulrika de Västergöhl, l’histoire de ces paysans de la province suédoise du Småland en route vers le Minnesota, muée en une saga, est une aventure bouleversante : « En dehors des naissances, des mariages, des enterrements, ils ne connaissaient guère d’autre péripétie que l’alternance des saisons. Vers le milieu du XIXe siècle, cet ordre immuable commença à trembler sur ses bases. Les terres sans cesse divisées par les héritages vinrent à manquer. Et les échos venus d’au-delà de l’Océan donnèrent des envies de liberté. »

Cette œuvre, une tétralogie de plus de deux mille pages dans sa version originale, occupa son auteur pendant plus de douze ans et fut publiée en Suède entre 1949 et 1959. Élu en 1998, année du centenaire de la naissance de Moberg, meilleur roman suédois du siècle, Utvandrarna fut enfin proposé en version française, cinquante ans après, grâce à la traduction de Philippe Bouquet et au courage de Gaïa, qui publia la saga en huit tomes, entre 1999 et 2000. Sans le gros travail du traducteur, sans le culot de l’éditeur, cette grande œuvre et son auteur seraient encore totalement inconnus en France, il est très important de le souligner.

La saga parue chez Gaïa (1999-2000) se compose ainsi : Au pays (I);  La Traversée (II); Le Nouveau monde (III); Dans la forêt du Minnesota (IV); Les pionniers du lac Ki-Chi-Saga (V) ; L’Or et l’eau (VI) ; Les épreuves du citoyen (VII) ; La dernière lettre au pays natal (VIII).

Puis, la Saga des émigrants a été publiée en poche, en cinq volumes cette fois, chez Le livre de poche (2002 à 2004), sous les titres suivants : Au pays (I);  La Traversée (II); La Terre bénie (III); Les Pionniers du Minnesota (IV); Au terme du voyage (V).


> Prolongement. A lire, ce texte de Philippe Bouquet de 2004 : « La Suède est sans doute le pays où la classe ouvrière a trouvé sa plus belle expression littéraire, à travers une ‘‘ école ’’ d’une exceptionnelle fécondité, qui a donné naissance au roman prolétarien. » Le texte est ici.

Philippe Bopuquet Deux

> Distinctions. Parmi les honneurs récompensant une telle carrière, notons que Philippe Bouquet est Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre royal de l'Étoile polaire (Suède), Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995.

> Actualité. Parmi les auteurs traduits par Philippe Bouquet en France, on retrouve notamment Stig Dagerman, Westerlund, Per Olov Enqvist, Jan Guillou - et même, de l’autre côté de la frontière, Karen Blixen (Les fils de rois). Plus récemment, Björn Larsson, Kjell Westö ou Kjell Eriksson. Philippe Bouquet n’a d’ailleurs pas non plus échappé à la vague polar. On lui doit beaucoup avec ses traductions des parents du polar suédois, Maj Sjöwall et Per Wahlöö réédités en poche par Rivages pour notre plus grand bonheur (La Chambre close, L’assassin de l’agent de police, L’abominable homme de Säffle, Les Terroristes) et les Per Wahlöö en solo (Meurtre au 31e étage)… dont le dernier (Le Camion) vient d’ailleurs paraître en avril dernier (lire article précédent). Et Henning Mankell en français ? A l’origine, on retrouve Philippe Bouquet, traducteur de Meurtriers sans visage, la première enquête de l'inspecteur Wallander publiée par Christian Bourgois en 1994.

Pour en revenir à l'actualité de cette année 2012, on lui doit Le Garçon dans le chêne (Frederik Ekelund) paru chez Gaïa en janvier et Les Cruelles Etoiles de la nuit (Kjell Eriksson), toujours chez Gaïa, en avril. La suite ? Peut-être Les Poètes disparus n’écrivent pas des romans, signé de son ami Björn Larsson, prévu chez Grasset en 2012.

 

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